Jacqueline ABBATUCCI la comtesse Courage
Par nécessité, elle a conduit le tracteur, fait les moissons, dépecé les bovins, couru les foires artisanales pour vendre ses produits : elle sait le secret de la potion des Schtroumpfs. Sur le terrain de la famille, la comtesse a conquis d’autres titres de noblesse.
Elle est l’héritière d’un nom qui touche au cœur même de Huningue et appelle à la vaillance et au courage.
Abbatucci et… tout est dit ! Tout un symbole, une dynastie : un député, un ministre, trois généraux… dont Jean-Charles, le héros huninguois du siège autrichien, tombé à 26 ans et immortalisé dans la pierre de l’Arc de Triomphe à Paris, fermez le ban !
Dans son Ile de Beauté, deux statues de Jean-Charles, à Ajaccio et à Zicavo, village où, bâtie au XVème siècle, perche la monumentale maison fortifiée de la famille, deux statues, comme deux vigies, veillent sur le nom du héros. Un devoir de mémoire repris comme un flambeau par la comtesse Jacqueline Abbatucci.
« Dans le parfum des clémentines et des orangers »
« C’est un personnage » raconte René MOEBEL, le maire émérite de Huningue qui l’a vue un jour de juin 1996 débarquer dans son bureau et lui chanter l’hymne de la famille pour rallier une délégation huninguoise aux festivités en Corse du bicentenaire de la mort du général. « Oui ! Une personne de caractère peu commun qui a su faire face à l’adversité. »
Et, mobilisée sur le front de l’histoire et sur celui de la famille, la comtesse a ses décorations et ses heures de gloire, elle aussi: décorée de l’ordre national du Mérite et promue officier du Mérite Agricole, fermez le ban !
Elle a son langage, la comtesse, pour se qualifier modestement de « pièce rapportée » dans cette famille anoblie sous Louis XV. « Mes parents étaient à la tête d’une exploitation agricole de 160 hectares, au cœur de la plaine de Mitidja, près de Boufarik, en Algérie. C’est là qu’à la fin des années soixante, j’ai rencontré Antoine ABBATUCCI alors appelé comme officier de réserve. On s’est trouvé des affinités ; on avait les mêmes idées politiques. Et deux ans et demi plus tard, c’était en avril 1961, on s’est mariés dans l’église d’Oued-el-Alleug et le parfum des orangers et des clémentines en fleurs.»
« Cela a choqué bien des gens »
Vient l’indépendance de l’Algérie suivie de la perte de la propriété agricole… « Mes parents ont acquis des terrains sur la côte orientale de la Corse. Que du maquis ! Et des ravins que l’on a dû combler avec des pierres. Cela a incité aussi mon mari à se réoccuper de ses propres propriétés.»
Et puis la comtesse se fait mère courage au décès d’Antoine, en 1976 qui lui laisse 5 enfants à élever. « Il n’était pas question de vendre. J’ai acheté un tracteur à crédit pour faire les foins ; cela a choqué bien des gens. J’ai appris à changer des roues, à dépecer des vaches, à peser un veau pour les bouchers, j’ai couru les foires artisanales, jusqu’à 22 par an, où je vendais mes produits : du vin d’orange, de la liqueur d’estragon, des apéritifs et une douzaine de digestifs à base de clémentine, de citron, de myrte, d’arbouse… Que des produits qui sortaient de l’ordinaire comme encore la potion magique des Schtroumpfs faite à partir de racines et de feuilles de salsepareille. Par nécessité, pendant 30 ans, j’ai ainsi travaillé 18 heures par jour.» Et s’il y eut des moments de découragement, les pleurs, c’étaient pour elle. La comtesse a sa fierté.
Les enfants, depuis, ont fait leurs chemins.
« Jacques, l’aîné, s’est fait une renommée dans ses veaux à la broche qu’il fait apprécier dans les salons comme Vinexpo, ce mois de juin à Bordeaux ; Jean-Charles est dans le vin bio, les vieux cépages qu’il travaille avec un cheval ; Raymond est inspecteur dans une compagnie d’assurances pour la Région PACA et la Corse ; Claire est dans l’immobilier sur l’île et Henri, après 15 ans comme pilote d’hélicoptère de combat, a ouvert chez nous un restaurant et un camping à la ferme.»
« Tête noire, pied-noir, mains noires »
Alors les journées aujourd’hui d’une comtesse ABBATUCCI ?
« Je m’occupe de mon environnement un peu délaissé ; j’encourage, je remonte le moral autour de moi. J’ai une foi profonde ; j’ai repris le catéchisme : l’an prochain, j’accompagne à leurs vœux de baptême une douzaine d’enfants de 7 à 8 ans qui ne savaient même pas faire le signe de croix. Et je chante aux offices, je dépanne… quand je vois qu’il n’y a pas d’ambiance. »
Et puis, entre deux travaux de broderie ou au crochet, des projets de livres aussi, « sur ma vie, mes produits, les maladies et les plantes et un recueil de poésie. Je vois toujours le bon côté des choses. J’ai eu un grave accident : des plaies au visage, des côtes cassées, un pied broyé… Cela ne m’a pas empêchée de chanter».
Et puis, celle qui se dit « la tête noire (allusion au drapeau corse à tête de Maure), pied-noir (ses origines algériennes) et aux mains noires (pour être allée au charbon) » sera bien sûr de la fête, à Huningue, pour l’inauguration de la nouvelle place Abbatucci.
Avec ce souci toujours de garder bien vivant dans l’Histoire l’illustre nom des Abbatucci. Et tout est dit !
Jean-Louis Mossière