Patrick SIRDEY : le chevalier de Weleda
Faire connaître l’homéopathie anthroposophique et la cosmétique bio pour rallier le plus grand nombre sous la bannière des substances naturelles, telle est la quête que s’est donnée le président de Weleda France.
Monsieur Weleda vendait des pesticides. L’info ne fera pas scandale à la rubrique faits divers. L’homme en fait publiquement confession. Et c’est loin, c’était en… 1976.
Nommé responsable en France des produits phytosanitaires pour la filiale du groupe chimique allemand Hoechst, il s’est rapidement amendé comme ses bonnes terres de l’agriculture biodynamique qu’il défend aujourd’hui. « J’ai énormément appris à cette époque et pu apprécier les méthodes commerciales employées pour inciter à de fortes consommations de ces produits dans l’agriculture. Cela m’a déplu ; j’ai pris conscience que l’on empoisonnait le monde. »
Patrick Sirdey vivait alors un peu comme un schizophrène.
« Je vendais des produits phytosanitaires et mangeais bio à la maison. C’était à Chatou dans la région parisienne ; ma fille était dans une école Waldorf. J’ai creusé leur pédagogie et j’ai découvert l’anthroposophie.»
« Mon père, ce génie plein d’idées… »
En fait, l’école Waldorf, Patrick Sirdey (qui a quitté cette année la présidence du directoire de Weleda France et la direction générale du groupe) il y avait déjà goûté un peu lui-même lors d’une vie scolaire mouvementée qui, entre 8 et 14 ans, l’a vu faire la navette dans des familles à Cologne, Londres et Hambourg.
«Ma mère, Jacqueline, souffrant de dépressions chroniques, ne pouvait nous garder moi et mes deux frères. Et mon père, Roger, connaissait déjà l’importance de la connaissance des langues. C’était un petit employé à la Société Générale. Mais un génie, plein d’idées, qu’il ne savait pas vendre. Pour moi, c’est l’inventeur du camping-car. Il avait aménagé un vieux camion et on descendait en famille sur la côte varoise en faisant la curiosité de la Nationale 7. »
Un bac à Berlin, des études à la fac d’allemand de Nanterre, mai 68 (« j’ai vécu le bouillonnement d’idées mais avec un peu de distance intérieure en raison des violences sur les personnes ») puis Sciences Po et la vie active dans le phytosanitaire avant de répondre, en 1981, à une annonce de Weleda et de remplacer à Huningue la directrice Jeannette Zimmerman.
« Faire reconnaître la tradition anthroposophique »
Pendant plus de 30 ans, Patrick Sirdey aura été le Monsieur Weleda pour le site de Huningue (qui est passé de 70 à 370 personnes) et pour la France, mais aussi de par le monde.
Et… homéopathie, mon beau souci aussi.
« À l’époque, le cadre juridique était extrêmement précaire : l’homéopathie anthroposophique n’était qu’une niche dans l’homéopathie en général, elle-même fragile. Elle n’était pas reconnue et il a fallu beaucoup s’engager sur le plan français et européen avant la sortie d’une première directive européenne mentionnant la tradition anthroposophique. Le député Jean Ueberschlag et la sénatrice Catherine Treundlé ont beaucoup œuvré pour sécuriser le cadre juridique d’exercice de nos activités. À partir de là, nous avons pu investir. »
Dont, pour finir, cette étape majeure en 2011 à Huningue : un investissement de 19 millions € offrant une extension de 8000 à 14 200 m² pour la production et la distribution pharmaceutiques, l’accueil du public et les bureaux.
« On a toujours été soutenus par la municipalité de Huningue qui nous a permis d’acquérir des terrains communaux et même anticipé nos intentions en réservant des parcelles. »
Et Saint-Louis doit se mordre les doigts aujourd’hui d’avoir laissé partir cette entreprise en 1970. « Je sais le grand regret de Jean Ueberschlag. Mais le maire de l’époque n’avait pas donné suite à nos besoins d’extension. »
« On va dans le mur, les yeux fermés ! »
Et aujourd’hui ? Si les mentalités ont évolué vers un plus grand respect de l’environnement et des engagements plus en lien avec la nature et les conceptions écologiques, peut-on pour autant se montrer optimiste ?
« Fondamentalement, je fais confiance à l’homme mais je reste lucide aussi. Et hélas je crains qu’il ne faille une catastrophe vraiment dramatique qui mette l’équilibre fondamental de la planète en péril pour qu’il réagisse. Ainsi le réchauffement de la planète qui n’a pas empêché l’échec du sommet de Rio, la crise financière et bancaire de 2008 avec l’affaire scandaleuse des subprimes; on a vécu sous le règne de la dérèglementation et de la cupidité. On pensait à une moralisation… Ce n’est pas du tout le cas ! »
Patrick Sirdey prend du recul aujourd’hui avec la vie professionnelle. « Weleda est une maîtresse exclusive qui prend beaucoup de temps. »Du temps il compte s’en donner à présent pour prolonger avec Yvonne, son épouse, son plaisir des voyages (« l’Amérique du Sud et la Grèce que je ne connais pas », sa passion de l’art lyrique notamment au festival de Belle-Île-en-Mer dont il est un habitué, des randonnées aussi et aventures initiatiques (« j’ai en projet l’étape Le Puy- Conques du chemin de Compostelle », de la lecture (« je suis un passionné des ouvrages historiques »)…
Alors, plus de liberté oui mais Patrick Sirdey le chevalier de dame Weleda (il a été adoubé dans l’Ordre National du Mérite) reste toujours en lice. Comme président du conseil de surveillance et chargé des relations extérieures notamment avec les élus régionaux et nationaux. Avec pour mission de veiller à ce que les acteurs de la vie politique sachent ce qu’est Weleda. « Quand on leur explique notre philosophie, les principes qui nous guident comme l’agriculture biodynamique, le développement durable, la biodiversité, le commerce équitable… ils ouvrent des yeux ronds, nous découvrent et acquièrent la conviction que se battre pour nous a un sens. »
Jean-Louis Mossière