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Rencontres avec les Huninguois[es]

Marie-Louise DIENGER, plutôt mal vue avec ses talons aiguilles

C’était le temps des blouses et de l’encrier, du poêle à charbon et des patins ; c’était hier. « Et on avait quarante élèves par classe » se souvient la maîtresse « sévère » de l’école des filles.

Institutrice, elle aura connu le temps des encriers percés dans le haut des pupitres, bancs d’école marchant deux par deux comme les enfants sagement rangés pour la rentrée en classe. Ces encriers, elle s’en souvient encore : « on les nettoyait avant les vacances et les remplissait à la rentrée ». Et les élèves s’en amusaient sans doute, comme je m’en amusais, en glissant le couvercle d’un doigt – clic, clac – histoire d’apprivoiser le temps. Image à la Doisneau du regard de l’enfant tourné sur la marche syncopée des aiguilles de la pendule, là-haut sur le mur de la classe.

C’était une autre époque : celle des plumes Sergent-Major, des taches d’encre sur les doigts et des beaux pâtés sur les cahiers, petites catastrophes qu’on tentait, vite fait, d’absorber à grand renfort de feuilles de buvard.

« Le sifflet de la directrice pour la fin de la récré »
Oui ! Une autre époque mais pas la préhistoire pour autant. Les années soixante et les suivantes, c’était… hier.

Marie-Louise Dienger a débuté en 1963, au sortir du bac. À 18 ans, six petits mois de formation à l’École normale (de quoi faire hurler aujourd’hui les syndicats) et l’école des filles de Huningue devenue par la suite école Prévert. Et à son tableau finalement, 34 ans d’enseignement avant la retraite, il y a quinze ans déjà.

Ses débuts ? « Les enfants avaient des blouses et des manchons pour protéger les coudes. Et on marchait sur des patins pour ne pas abîmer le lino. J’étais plutôt mal vue avec mes talons aiguilles » avoue Marie-Louise. « Et pour les élèves, il y avait la corvée de charbon pour charger le poêle » ajoute son mari.

Oui, un autre monde où la directrice était aussi la maîtresse du temps avec son sifflet pour rappeler les élèves au travail. « Et le temps de la récré était à son bon plaisir, raccourci quand approchaient la date du certificat d’études et le besoin pour elle d’intensifier les cours pour s’assurer de bons taux de réussite. »

Marie-Louise l’avoue volontiers : « question devoirs à rendre et discipline, j’étais plutôt sévère. » Sans doute une nécessité pour ne pas se laisser déborder. Ce qui, aujourd’hui, déclencherait une petite révolution dans l’établissement et la commune avec grève du corps enseignant, articles de presse, manifs et banderoles des parents dans la rue semblait être l’ordinaire pour les enseignants. « On avait quarante élèves par classe. Bien sûr, on s’en plaignait entre nous, entre collègues, mais on acceptait ; on n’avait pas le choix. »

« Son père m’a dit : mettez-le au pas »
Et l’écolier semble-t-il n’était pas encore l’enfant-roi appelant les parents ou le grand frère à la rescousse. « Les élèves se levaient quand rentrait l’enseignant. Il n’y avait pas besoin de grilles à l’école, de portes fermées à clef durant la classe. On avait des cours d’instruction civique ; on apprenait le respect. J’ai eu le cas d’un enfant difficile qui me cherchait. Son père convoqué m’a dit : mettez-le au pas. »

Mais, reconnaît Marie-Louise, « l’école aussi représentait autre chose ; c’était la source du savoir. La télé, Internet… Il y a tellement d’autres possibilités aujourd’hui ! »

Dans une vie professionnelle balisée par les évolutions et innovations imposées par l’époque ou voulues par des ministres soucieux toujours de marquer leur passage, Marie-Louise aura connu aussi une petite révolution qui prêterait à sourire aujourd’hui : « au milieu des années soixante-dix, l’école est devenue mixte. » Le mélange garçons et filles pour les élèves bien sûr mais aussi la mixité pour… les enseignants. « Et l’arrivée d’hommes, dans notre univers de femmes, a bien changé l’ambiance. Ce fut plus agréable, plus détendu, faut bien le reconnaître. »

« Son père m’a dit : mettez-le au pas »
Pas suffisant toutefois pour la voir redoubler cette carrière.

« J’avais du bonheur avec les enfants ; on vivait quand même ensemble 6 heures par jour. On formait presque une famille. Mais c’est vrai, j’ai été soulagée quand j’ai pris ma retraite. J’ai gardé le sentiment que les enseignants étaient un peu abandonnés à eux-mêmes. Et si c’était à refaire, j’hésiterais en pensant aux conditions actuelles. Il y a trop de demandes extérieures, trop de pression… »

Et Marie-Louise ne veut garder que les bons côtés.

« Quand je retrouve mes élèves, grands-mères aujourd’hui, on se rappelle les bons souvenirs. »

C’est donc qu’elle n’était pas si sévère, la maîtresse.

Jean-Louis Mossière

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